Si vous habitez Strasbourg et avez un compte facebook, vous avez peut-être vu ce contenu sponsorisé sur votre "journal" : une conférence sur les accords de Dayton proposée par l'Association Parlementaire Européenne, une "organisation transpartisane à vocation européenne [qui] rassemble des membres du Parlement Européen issus de différents groupes politiques."
Je ne vais pas y aller par quatre chemins, cette conférence est très problématique de par son intervenante principale, l'eurodéputée croate Zeljana Zovko.
C'est assez complexe à comprendre pour qui n'est pas familier de l'ex-Yougoslavie/Bosnie-Herzégovine, mais je vais essayer d'être le plus clair et synthétique possible :
Željana Zovko. Photo (c) Igor Kralj - Pixsell.
- Željana Zovko est née à Mostar, en Bosnie-Herzégovine (BiH). Elle fait partie de la communauté croate de ce pays.
- Mostar est situé en Herzégovine, dont elle est la principale ville (environ 100 000 habitants). L'Herzégovine est une région géographique et historique, sans statut politique particulier à l'heure actuelle. Les Croates y sont nombreux voire majoritaires dans certaines communes ou cantons. La région est d'ailleurs frontalière de la région croate de Dalmatie.
- L'Herzégovine est située dans l'entité nommée "Fédération de Bosnie-Herzégovine", dite aussi "Fédération Croato-Musulmane" ou plus simplement "Fédération". L'autre entité est la Republika Srpska (RS), souvent appelée en français "République Serbe de Bosnie". La "Fédération" est décentralisée en "cantons" fédérés. Il y a aussi un troisième territoire, le District de Brcko, mais je ne vais pas vous charger ici avec lui ;-).
- En Bosnie-Herzégovine, la présidence est collégiale, c'est à dire qu'y siègent obligatoirement un représentant bosniaque, un serbe, et un croate, car ces trois peuples sont dits "constitutifs" du pays, un statut qui exclue d'autres communautés comme les Juifs, les Roms et "ceux qui restent" ("ostali" en V.O.), c'est à dire ceux qui refusent de se déclarer comme membre d'une ethnie, constitutive ou non, dans les recensements.
- Les trois présidents représentant les trois peuples constitutifs sont élus au suffrage universel direct.
- Si vous avez bien compris, un membre d'une communauté non constitutive ne peut donc pas candidater pour la fonction suprême, ce qui constitue une injustice et une discrimination flagrantes, et qui a été porté devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme par le Juif Jakob Finci et le Rom Dervo Sejdic, dans ce qu'on appelle aujourd'hui "le cas Sejdić-Finci" ou le "jugement Sejdić-Finci". Rien n'a été fait pour changer cette situation, malgré les appels de la communauté internationale à réformer la législation bosnienne dans ce domaine.
- En 2007, la République de Croatie voisine à obtenu par un accord bilatéral que les Croates de BiH puissent avoir la double nationalité, bosnienne et croate. Dès lors, ceux ci peuvent voter aux élections croates, et depuis l'entrée de la Croatie dans l'UE, ils bénéficient du passeport européen, avec tous les avantages que cela offre en termes d'emploi, d'étude, de résidence et de représentation politique dans l'UE. Les autres communautés de BiH n'ont pas ce privilège.
- C'est comme ça que Željana Zovko a pu être d'abord ambassadrice de BiH dans plusieurs pays européens, puis devenir eurodéputée de Croatie.
- Željana Zovko est membre du parti croate HDZ, au pouvoir en Croatie, et bien implanté aussi en Herzégovine, sous le nom de HDZ BiH. C'est un parti bien de droite, souvent présenté dans les médias ou par lui-même comme conservateur ou chrétien-démocrate. Cependant, sur de nombreux marqueurs politiques, notamment son rapport plus qu'ambigu à la période du régime oustachi allié des nazis, il se situe à l'extrême-droite (même s'il s'en défend, et que d'autres partis ouvertement d'extrême-droite lui disputent le leadership).
- Le HDZ BiH prétend être le seul représentant légitime des Croates de BiH, alors que tous ne votent pas pour lui.
- Par ailleurs, il prétend que les Croates de BiH sont discriminés, opprimés, et qu'ils n'ont pas d'autres choix que d'aller vivre en Croatie.
- Cela est faux :
- par la forte décentralisation en "Fédération", les Croates, et plus particulièrement le HDZ BiH, sont majoritaires dans certains cantons, et en principe ils peuvent donc s'y administrer en relative autonomie.
- Par ailleurs, ils bénéficient de leur propre système scolaire, où s'applique le programme scolaire de la Croatie (!), via le système de "deux écoles sous un même toit", qui n'est rien d'autre qu'un apartheid qui ne dit pas son nom.
- Enfin, les Croates, qui constituent environ 15 % de la population de BiH, sont représentés à hauteur de 19% dans la fonction publique d'Etat, avec 20% à la direction de services, et 24% à des postes de chefs de cabinets ministériels ou de cadres supérieurs, grâce à un système de "correction" par le haut des proportions ethniques (la "majorizacija"), destiné à rééquilibrer le poids de chaque communauté (Source : Agence de la Fonction Publique de BiH).
- Et encore une fois, avec leur double nationalité qui leur ouvre les portes de l'UE, les Croates sont clairement avantagés par rapport aux autres communautés du pays.
- N'oublions pas enfin le cas illustré à travers la procédure initiée par Dervo Sejdić et Jakob Finci, qui, lui, constitue un vrai cas de discrimination des minorités. Un cas qui ne préoccupe pas outre mesure le HDZ BiH.
- Avec le soutien du HDZ de Croatie, le HDZ BiH réclame la création d'une nouvelle entité en Bosnie-Herzégovine, une entité croate, sur le même principe que la RS pour les Serbes, arguant que cela protégerait les Croates, mais aussi, que cela "sauverait" la Bosnie-Herzégovine multiethnique.
- A ce titre, le HDZ BiH travaille volontiers main dans la main avec le SNSD au pouvoir en Republika Srpska (RS). Le président de cette entité, Milorad Dodik, réclame toujours plus de compétences et agite sans cesse la menace séparatiste (sécession de la RS, et rattachement à la Serbie).
- La création d'une entité croate, ce serait de facto une baronnie sur mesure pour le HDZ BiH, et c'est peut-être pour ça qu'il y tient tant !
- Cette option renforcerait encore le "fait ethnique" dans ce pays déjà miné par les disputes entre les leaders des trois communautés principales (Croates, Bosniaques, Serbes), alors qu'il faudrait au contraire travailler à développer une citoyenneté sur une base non ethnique, et des articulations politiques autour des enjeux économiques, sociaux, environnementaux, culturels... Il y a une demande dans ce sens dans la société bosnienne.
- Mais le plus grave est sans doute que la Bosnie-Herzégovine serait encore davantage fragilisée qu'elle ne l'est avec cette troisième entité, et que sans doute, à long terme, elle n'y survivrait pas, avec tous les risques de tensions graves qu'une nouvelle dislocation générerait.
- Avec une troisième entité, il y aurait un mélange de compétition et de surenchère en matière de demande de compétences politiques et d'autonomie : les leaders Serbes de RS demanderaient encore plus de compétences (ils ont déjà presque toutes les compétences d'un Etat), leurs homologues croates leur emboîteraient le pas, leurs collègues bosniaques, qui eux revendiquent une forme d'hégémonie pour leur communauté (la plus nombreuse statistiquement) tout en défendant une forme d'unité de l'Etat, refuseraient ces demandes, tout en négociant des compromis, lesquels ouvriraient la brèche à de nouvelles exigences de compétences et autres dévolutions, car après avoir obtenu le main, on demande en général le bras... C'est d'ailleurs déjà plus ou moins ce qui se passe.
- A terme, l'Etat serait encore plus dysfonctionnel qu'il ne l'est, et c'est là que les autorités des deux entités croates et serbes finiraient par organiser leur sécession (car pourquoi rester dans un Etat qui ne marche pas ?) et se rattacheraient à leur mère patrie respective (qui souffle chacune déjà sur les braises aujourd'hui). Tout cela est l'agenda caché des nationalistes croates du HDZ BiH et du HDZ de Croatie, qui réaliseraient ainsi ce qu'ils n'ont pas réussi durant la guerre des années 90, avec la république d'Herceg-Bosna, de sinistre mémoire, dont je parlerai plus bas.
- La création d'une entité croate, située en Herzégovine avec pour capitale Mostar, est le grand combat de Željana Zovko qui multiplie les actions de lobbying à travers ses fonctions de députée européennes. Non sans succès auprès de certains de ses confrères d'autres pays. Très active, offensive, éloquente, elle prend régulièrement la parole dans l'hémicycle, tout en cultivant relations et réseaux en coulisse. Madame Zovko a été ambassadrice, elle connaît les codes de la diplomatie et du soft-power. A ce titre, elle sait qu'on ne parle pas de la même façon à Zagreb ou Mostar, qu'on ne le fait à Strasbourg ou Bruxelles : sa revendication d'une troisième entité est ainsi emballée dans un joli discours avec des jolies notions comme le fédéralisme, le droit des minorités, l'égalité entre communautés, les valeurs européennes, la préservation et la sauvegarde de la BiH dans le respect des accords de Dayton. L'octroi de cette troisième entité serait, pour Madame Zovko et le HDZ, une sorte de réparation, un perfectionnement des accords de Dayton, qui selon elle, ont commis une injustice à l'époque, en ne permettant pas aux Croates d'avoir leur entité (je résume).
Madame Zovko portant la "šahovnica", l'échiquier caractéristique du drapeau croate.
photo (c) Radio Sarajevo.
photo (c) Radio Sarajevo.
Vous commencez à comprendre ce qui pose problème dans la présence de cette femme à une conférence sur ces accords ? Une conférence où par ailleurs ne sont pas invités des représentants d'autres communautés bosniennes, ni des spécialistes de la Bosnie-Herzégovine. Il semblerait aussi que tous les intervenants soient marqués à droite (un eurodéputé français LR, et je reviendrai sur l'autre monsieur croate invité plus bas). Bref, personne pour porter la contradiction, ou simplement apporter d'autres angles, points de vue ou nuances, ce qui permettrait au public de mieux appréhender le sujet et de se forger sa propre opinion.
- Ce "lissage" conviendra sans doute à Željana Zovko qui n'apprécie de toute façon pas la contradiction et les questions déplaisantes :
- En 2021, elle refuse sèchement de répondre à certaines questions d'une jeune journaliste de la chaîne N1, humiliant au passage son interlocutrice en lui disant qu'à son âge, elle a encore des choses à apprendre dans son métier. Cette situation oblige l'Association des Journalistes de BiH à rédiger un communiqué outré, rappelant que dans une démocratie, tout élu politique est tenu de répondre à toutes les questions, agréables comme désagréables.
- En 2024, Madame Zovko interrompt brutalement une interview de la Télévision Publique de Fédération, suite à une demande de précision d'une journaliste qui ne comprenait pas son propos. "Peut-être nous comprendrons nous mieux le jour où nous aurons une télévision publique en langue croate... Restons en là pour ce soir !"
(je rappelle aux non-initiés que le croate est la même chose que le serbe ou le bosniaque, et que la majorité des linguistes sérieux considèrent ces supposées trois langues comme une seule langue, simplement avec plusieurs variantes/standards et centres de gravité, comme c'est le cas pour le français, l'anglais, l'espagnol, et bon nombre d'autres langues : les différences sont du même ordre que celles entre français de France et de Belgique ou de Suisse).
- Il existe pourtant une chaîne "en croate", Televizija Herceg Bosne ("Télévision de l'Herceg-Bosna"), qui est tenue par des proches du HDZ, et qui propose un programme où on dénonce "l'Etat profond", on diffuse la messe, on célèbre les familles nombreuses, on défend le chanteur néo-oustachiste Thompson, on honore la mémoire du controversé cardinal Stepinac, et on dénonce l'hégémonie bosniaque (comme j'ai pu le constater sur la chaîne youtube de ce média ou comme le précisent certains analystes locaux).... Madame Zovko adore accorder des interviews à ce canal "en croate".
- Toujours à propos de la presse, et à propos de Thompson, dont le récent concert à Zagreb a suscité l'émoi de certains médias dans le monde, Željana Zovko a déclaré que ces médias sont "endoctrinés par la gauche", laquelle s'en prend au patriotisme de façon très grave. On rappelle que des médias de toutes tendances politiques se sont émus de ce concert : New York Times, Frankfurter Allgemeine Zeitung, Le Monde, der Spiegel, die Zeit, 20 Minutes (édition Suisse), etc.
- A côté de la gauche qui endoctrine les médias, Željana Zovko voit aussi la main secrète de la Russie dans l'élection du Président Croate Zoran Milanovic, et celle d'Erdogan dans l'élection de Zeljko Komsic comme représentant croate à la présidence collégiale de BiH. Je précise ici, pour que ce paragraphe ne soit pas mal interprété, que je ne soutiens ni Poutine, ni Erdogan, ni leur impérialisme, grand-russe pour le premier, néo-ottoman pour le second, ni d'ailleurs le très démago, impulsif et imprévisible Zoran Milanović (une sorte de mélange de Donald Trump, Jean-Luc Mélenchon et Manuel Valls, dans le corps d'Alain Delon), mais de là à voir des immixtions russes ou turques partout....
En revanche, sans que ce soit mon champion absolu, j'apprécie chez Monsieur Komšić sa droiture, sa modération, sa manière, à la fois posée mais ferme, de défendre ses convictions, et bien-sûr son attachement à une BiH unitaire.
- A côté de ce complotisme à peine voilé, Željana Zovko brille aussi par une faible empathie dès qu'il ne s'agit pas de sa communauté croate vénérée : le 16 décembre 2024, au Parlement Européen, un eurodéputé Vert slovène, Vladimir Prebilič, s'exprime sur le récent effondrement de la gare de Novi Sad, sur les victimes de cette tragédie, et sur le mouvement de protestation qu'elle a provoqué en Serbie. Symboliquement, il débute son discours par quelques phrases en serbe, suscitant par la suite l'ire de Madame Zovko qui déclare, indignée : "je considère que c'est une vraie provocation, parce que la Serbie n'est pas membre de l'UE, et qu'il n'y a donc pas de langue serbe ici !". Qu'est ce qui est le plus grave selon vous, dire quelques mots en serbe au Parlement Européen, ou sensibiliser celui-ci à la tragédie de Novi Sad et au mouvement citoyen qui en découle ?
- Plus grave et scandaleux encore, en 2022, Željana Zovko déclare que les Bosniaques "construisent un mythe, à partir de l'histoire de leurs souffrances, de l'histoire du génocide", que cela leur permet d'imposer leur agenda auprès de leurs partenaires internationaux, et que cette stratégie se pratique au détriment des Croates, mais aussi de l'unité du pays. Non, les Bosniaques se battent pour que les crimes qu'ils ont subi, et qui ne sont pas un mythe, soient reconnus, et reconnus dans leur qualification juridique, alors que les autorités de Republika Srpska continuent de nier cette qualification.
Certes, des hommes politiques bosniaques se servent parfois des souffrances subies par leur communauté pour gagner des points, mais cette stratégie opportuniste ne serait pas si efficace si en face les crimes étaient reconnus, et si les Bosniaques n'étaient pas accusés en bloc d'islamisme ou d'hostilité envers les autres communautés (des tendances qui existent, mais qui ne constituent pas une lame de fond).
- En 2019, Željana Zovko publie sur son compte Twitter un post célébrant avec emphase les 26 ans de la République d'Herceg-Bosna.
- L'Herceg-Bosna, c'est une république auto-proclamée en 1992-93, lorsque les forces croates du HVO en Herzégovine cessent toute alliance avec l'Armée loyaliste de BiH ("Armija Republike BiH", souvent appelée simplement "Armija"), et se retournent contre elle.
- Les raisons de cette guerre dans la guerre, qui fragilise le combat contre les forces serbes, sont multiples (désaccords entre HVO et Armija sur le partage des armes, désaccords stratégiques, peur des Croates vivant dans des zones où ils sont isolés, passage progressif d'une ligne multiethnique à des tropismes islamisants chez le président Alija Izetbegovic...), mais en réalité, la trahison des forces Croates d'Herzégovine (dans d'autres régions, les Croates continueront de se battre avec l'Armija, ainsi que des Serbes, d'ailleurs) a été décidée en amont, avec le soutien de Zagreb et de Franjo Tudjman.
- Après avoir éliminé les éléments modérés et l'aile gauche du HDZ, le président croate s'est appuyé sur un "lobby herzégovinien" particulièrement agressif, mené par le très nationaliste ministre de la défense Gojko Susak, lui même né en Herzégovine.
- Mais avant cela, on sait aujourd'hui avec relativement de certitudes que le partage de la BiH entre Croates et Serbes avait été discuté par Slobodan Milosevic et Franjo Tudjman lors de leur rencontre en 1991 à Karadjordjevo. Ennemis sur le papier, les deux hommes, aux dires des témoins qui les ont fréquenté à cette époque, s'appréciaient et se tutoyaient. Ils se sont visiblement trouvés des intérêts communs sur le dos des Bosniaques et de la souveraineté de la BiH.
- Concrètement, l'Herceg-Bosna a été un enfer pour les population non-croates. Des camps de concentration ont été mis en place (Dretelj, Heliodriom, Gabela, Vojno), où les prisonniers ont été systématiquement victimes de tortures, viols et assassinats. Des massacres de civils musulmans, femmes et enfants compris, ont été perpétrés, notamment à Ahmici. Enfin, même si c'est moins terrible que ce qui précède, le célèbre pont de Mostar a été détruit par les forces croates le 9 novembre 1993, suscitant l'indignation générale des opinions et des chancelleries occidentales. Tous ces faits seront jugés plus tard à La Haye, et le pont sera reconstruit.
"Guidés par un incommensurable patriotisme, nous commémorons aujourd'hui avec fierté le 26e anniversaire de la création de la légitime république croate de l'Herceg-Bosna, pierre fondatrice de la défense et de la préservation de l'identité croate en BiH."
Photomontage de (c) 24 sata.
Photomontage de (c) 24 sata.
- Devant le tollé suscité par son post sur l'Herceg-Bosna, Željana Zovko le retire rapidement. Quel courage de ses opinions ! Heureusement, nombreuses captures d'écran ont été faites, et restent disponibles sur le web.
- En 2024, pour les 20 ans de la restauration du pont de Mostar, Željana Zovko organise une cérémonie au Parlement Européen de Bruxelles, présentant le patrimoine matériel et immatériel de la Croatie et de la BiH. A la surprise générale, la brochure produite par madame Zovko présente le pont de Mostar comme appartenant au patrimoine de la Croatie. Un comble ! Le document suscite le tollé et réouvre des blessures mal cicatrisées, celles justement de la destruction du pont par les forces de l'Herceg-Bosna que vénère tant Madame Zovko. Au delà de cet aspect lié à la guerre, cette "croatisation" du pont est évidemment un scandale sur le plan politique, historique et sociétal, puisque le pont de Mostar appartient bien au patrimoine de la BiH, et non de la Croatie, et par ailleurs, il appartient à tous les citoyens du pays.
La brochure produite par Zeljana Zovko : en haut, le pont de Mostar.
Voilà donc un aperçu de ce que dit, pense et fait Željana Zovko.
Pour terminer ce portrait à charge, précisons que les positions de l'eurodéputée et de son parti le HDZ ne font pas l'unanimité au sein du Parti Populaire Européen (PPE), groupe dans lequel elle siège, et où elle prétend avoir écoute et soutien.
Dans un article publié en 2018 sur le site de Deutsche Welle en serbo-croate (l'équivalent allemand de Radio France Internationale), l'eurodéputé allemand Michael Gahler (CDU/PPE) conteste les accusations de Madame Zovko insinuant qu'Erdogan aurait influé sur l'élection la même année de Željko Komšić comme président croate, notamment que ce dernier aurait été élu avec des voix bosniaques : "Je ne peux pas être dans la tête de chaque électeur de BiH, mais je peux bien imaginer que des Bosniaques aient choisi de voter pour Komšić parce qu'il incarne leur option politique, alors que le candidat du SDA [parti musulman de tendance nationaliste boniaque, et néo-ottomaniste] ne leur plaisait pas. Les électeurs sont libres de voter pour qui ils veulent, et je ne peux pas critiquer un tel résultat".
Deutsche Welle rappelle que 154 000 Croates ont voté pour Dragan Covic, le leader du HDZ BIH, mais que 300 000 d'entre eux ont choisi un autre candidat.
Ancien Haut-Représentant des Nations Unis en BiH, Christian Schwarz Schilling, également de la CDU, commente le fait que le HDZ conteste les résultats et prétende être le seul représentant légitime des Croates de BiH: "C'est totalement faux ! Que le HDZ revendique le droit à être le membre croate de la présidence est une ambition arrogante qui est contraire au droit international et à la souveraineté de la BiH. Komšić a été choisi aussi par des électeurs croates, et à ce titre, ces affirmations que seul Čović est légitime sont antidémocratiques et contraires à la loi. Tout citoyen a le droit de choisir le candidat qu'il veut (...). Celui qui affirme le contraire ne sait pas ce qu'est la démocratie".
Schwarz-Schilling poursuit en dénonçant le nationalisme qui monte dans les pays membres de l'UE, et dont l'immixtion de la Croatie dans les affaires de la BiH sont un dangereux exemple.
Il dénonce le fait que le Croatie ne regarde les citoyens de BiH que sur des critères ethniques, une "erreur" selon lui, avant de s'en prendre au projet de troisième entité pour laquelle Madame Zovko fait du lobbying au sein des institutions européennes : "La coalition entre le HDZ, ou plutôt entre Čović et Dodik, qui est entré à la Présidence comme représentant des Serbes, représente la fin de l'Etat bosnien et herzégovinien. C'est cela qui se cache derrière les déclarations de Željana Zovko au Parlement Européen. On y parle de décentralisation avec de plus en plus d'insistance, de fédéralisation. Mais cela ne signifie rien d'autre que la voie ouverte à une Grande Serbie et à une grande Croatie."
Je rappelle que ce sont des membres de la CDU qui parlent, donc pas vraiment des gauchistes nostalgiques de Tito (mais peut-être sont ils endoctrinés, eux-aussi ?)! Par ailleurs, on rappelle que l'Allemagne, et la CDU de Helmut Kohl, restent les grands parrains de l'indépendance de la Croatie. J'observe aussi que la presse de langue allemande, de droite comme de gauche, est bien mieux informée que sa consoeur francophone sur les réalités post-yougoslaves, avec des journalistes qui maîtrisent les sujets et enjeux, et parlent parfois les langues locales. A ce titre les médias allemands, autrichiens et de Suisse alémanique ont aussi exprimé de cinglantes critiques envers la politique menée par la Croatie en BiH. Bref, quand dans des pays à priori amis, on commence à dire que ce que fait la Croatie est erroné, abusif et dangereux, c'est que les limites de l'acceptable ont été franchies.
Avant de conclure ce post, quelques mots sur Monsieur Vitomir Miles Raguž, qui intervient également au côté de Madame Zovko, et dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. A vrai dire, peu d'infos sont disponibles sur ce banquier aujourd'hui établi à Paris. En fouinant sur le web, on apprend qu'il a grandi et vécu pauvrement aux Etats-Unis, dans une famille d'émigrés croates originaires d'Herzégovine. Monsieur Miles Raguž a été lui aussi ambassadeur de BiH, entre 1998 et 2000, auprès de l'UE et de l'OTAN. Mais son principal fait d'arme, cité d'ailleurs dans l'invitation à la conférence, est la publication en 2011 de "Da nije bilo Oluje/ Who Saved Bosnia", en français : "S'il n'y avait pas eu l'opération Tempête/Qui a sauvé la Bosnie" (pas de point d'interrogation dans le titre qui est pourtant une question).
Je n'ai pas lu ce livre, mais j'ai lu ce qui se dit sur lui sur des sites web de Croatie, ou de l'émigration croate aux Etats-Unis (qui n'est pas connue pour être fondamentalement de gauche). La thèse du livre, en quelques mots, c'est que l'opération Oluja a permis de sauver la BiH. En d'autres termes, celle qui a "sauvé la Bosnie", c'est la Croatie bien-sûr ! Ce n'est pas la première fois que j'entends parler de cette thèse. Certes Oluja a mis en déroute l'armée serbe (et la population serbe), et a redistribué les cartes militaires à l'échelle du conflit yougoslave. Cependant, prétendre que l'opération, ou la Croatie, ont "sauvé la Bosnie" me semble exagéré. Il y a eu d'autres facteurs qui ont poussé la "communauté internationale" à exiger la paix et ont mené aux accords de Dayton, dont la tragédie de Srebrenica. Par ailleurs, vu les accords tacites entre Tuđman et Milošević pour se partager le territoire, et la purification ethnique violemment pratiquée en Herceg-Bosna, cette affirmation d'un rôle positif de la Croatie est abusif voire indécent.
D'ailleurs, certaines chroniques de l'ouvrage mentionnent le fait que précisément, celui-ci met à mal le procès qui est fait à la Croatie par rapport à ce qui s'est discuté à Karadjordjevo. Le livre s'en prendrait aussi au Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, qui, si je comprends bien, serait trop injuste avec la Croatie. Last but not least, l'ouvrage attesterait également que dans le conflit entre Bosniaques et Croates, ce sont les premiers qui sont les vrais fautifs, "contrairement à ce qui est communément affirmé". A l'instar de cette citation, la rhétorique de ces articles surfe d'ailleurs souvent sur cette ligne de "l'ouvrage qui va à contre-courant du discours dominant", des "vérités désagréables qu'on ne veut pas entendre", de "faits incontestables mais qui sont passés sous silence pour des raisons idéologiques". On sait très bien quelles sphères parlent comme ça aujourd'hui en France ou ailleurs dans le monde. Bref, encore une fois, je n'ai pas lu le livre et je sais peu de choses au final sur Monsieur Miles Raguž, mais tout ça sent quand même la réhabilitation d'un certain discours croate, qui dit un peu toujours la même chose : que tout ce qu'a fait la Croatie durant les guerres yougoslaves était juste et sans taches. J'exprime donc la plus grande réserve sur cet intervenant aussi.
Quant au dernier, Monsieur Christophe Gomart, eurodéputé français Les Républicains et ancien général du renseignement militaire, je n'ai eu le temps que de me pencher en surface sur son profil : ça semble être un sympathisant de Bruno Retailleau et quelqu'un qui pense qu'on fait un procès excessif à la France pour son rôle au Rwanda... Hum !
Je vous laisse creuser tout ça...
En conclusion, cette conférence, c'est un peu comme si des partisans du retour de l'Alsace à l'Allemagne (ça existe dans certains milieux pangermanistes néo-nazis) animaient une rencontre sur l'amitié franco-allemande, ou si des séparatistes flamands venaient nous parler de l'unité de la Belgique. Dans une ville hébergeant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, et qui symbolise la réconciliation européenne et le dialogue, c'est une regrettable tribune offerte à un projet politique qui prône la division et le séparatisme.
Je vous laisse creuser tout ça...
En conclusion, cette conférence, c'est un peu comme si des partisans du retour de l'Alsace à l'Allemagne (ça existe dans certains milieux pangermanistes néo-nazis) animaient une rencontre sur l'amitié franco-allemande, ou si des séparatistes flamands venaient nous parler de l'unité de la Belgique. Dans une ville hébergeant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, et qui symbolise la réconciliation européenne et le dialogue, c'est une regrettable tribune offerte à un projet politique qui prône la division et le séparatisme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire